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DOWNBELOW, NAVETTE DE l’Afrique,
BASE PRINCIPALE ; 24OO HEURES-J, 1200 HEURES
A-J ; JOUR.
Emilio s’appuya contre le dossier de sa chaise et fixa résolument le visage sarcastique de Porey, tandis que le capitaine couvert de cicatrices notait quelques indications sur le listing qui se trouvait devant lui, avant de le pousser dans sa direction. Emilio le prit, feuilleta la demande de ravitaillement, hocha lentement la tête.
« Il faudra un peu de temps, » dit-il.
— « Pour le moment, » dit Porey, « je me contente de transmettre les rapports et d’agir conformément aux instructions. Vous ne coopérez pas, vous et votre personnel. Continuez tant que vous voudrez. »
Ils étaient dans la petite salle commune du vaisseau de Porey, pont plat, inadapté aux vols prolongés. Porey avait goûté l’air de Downbelow, celui de leurs dômes, ainsi que la poussière et la boue, s’était réfugié, dégoûté, dans son vaisseau, l’appelant au lieu de se rendre au dôme principal. Et cela lui aurait parfaitement convenu, s’il avait également retiré les soldats ; mais il ne l’avait pas fait. Ils étaient toujours dehors, masqués et armés. Les ouvriers et les réfugiés cultivaient les champs sous la menace des fusils.
— « Je reçois également des instructions, » dit Emilio, « et je m’y conforme. Le mieux que nous puissions faire, capitaine, c’est de reconnaître que les deux camps sont conscients de la situation et que votre demande sera satisfaite, puisqu’elle est raisonnable. Nous devons tous deux obéir aux ordres. »
Un homme raisonnable aurait compris. Pas Porey. Il conserva simplement son expression sarcastique. Peut-être était-il furieux d’avoir été envoyé sur Downbelow ; peut-être était-ce sa manière d’être. Il avait vraisemblablement besoin de sommeil ; la brièveté des tours de garde pris par les soldats indiquait qu’ils avaient besoin de repos, et l’équipage de Porey avait fait l’essentiel du travail, pas Porey… l’équipage d’anti-jour, peut-être.
— « Prenez votre temps, » répéta Porey, et il était évident qu’il n’oublierait pas le temps en question, le jour où il lui serait possible d’agir à sa guise.
— « Avec votre permission, » dit Emilio, qui n’obtint pas de réponse, se levant et sortant. Les gardiens le laissèrent passer, dans le petit couloir, puis dans l’ascenseur conduisant à la soute du vaisseau, où l’ascenseur faisait office de sas, enfin dans l’atmosphère de Downbelow. Il mit son masque, descendit la rampe dans le vent frais.
Les autres camps n’étaient pas encore occupés. Il supposait que les militaires y renonçaient faute de soldats ; en outre, il n’y avait pas d’aire d’atterrissage, dans ces endroits. En ce qui concernait le ravitaillement demandé par Porey, il supposait qu’il pourrait réunir la quantité demandée ; cela les priverait, cela priverait la station, certainement, mais leur réticence et les dômes vides avaient vraisemblablement maintenu les exigences de la Flotte dans la limite du supportable.
Situation meilleure, indiquait le dernier message de son père. Aucun projet d’évacuation. Flotte envisage rester en permanence à Pell.
Ce n’était pas la meilleure nouvelle. Ce n’était pas la pire. Toute sa vie, il avait considéré la guerre comme une dette qu’il faudrait payer un jour, qu’une génération quelconque devrait payer. Que Pell ne pourrait conserver indéfiniment sa neutralité. Pendant le séjour des représentants de la Compagnie il avait espéré, sans trop y croire, qu’une force extérieure accepterait peut-être d’intervenir. Ce n’était pas le cas. Ils avaient Mazian, à la place, qui perdait la guerre que la Terre ne voulait pas financer, qui ne pouvait protéger une station qui pourrait décider de le financer, qui ignorait tout de Pell et ne se souciait pas des équilibres fragiles de Downbelow.
Où sont les Downers ? avaient demandé les soldats. Ils ont peur des étrangers, avait-il répondu. Ils ne se montraient pas. Il ne pensait pas qu’ils le feraient. Il fourra la demande de ravitaillement dans la poche de sa veste, s’engagea sur le chemin qui gravissait la colline. Il voyait les soldats répartis parmi les dômes, fusils en évidence ; voyait les ouvriers, au loin, dans les champs, tous, obligés de travailler sans considération d’horaire, de santé ou d’âge. Il y avait des soldats au moulin et à la station de pompage. Ils interrogeaient les ouvriers sur les taux de production. Jusque-là, cela n’avait pas entamé la version officielle, à savoir que la station absorbait ce qu’ils produisaient. Il y avait tous ces vaisseaux, là-haut, tous ces commerçants en orbite autour de la station. Il était peu probable que Mazian entreprenne de réquisitionner leurs provisions… ils étaient trop nombreux.
Mais Mazian, se disait-il continuellement, n’avait pas échappé à l’Union pendant si longtemps pour se laisser manœuvrer par Emilio Konstantin. Aucune chance.
Il descendit, passa le pont sur le ruisseau, remonta vers le Quartier Général. Il vit la porte s’ouvrir, vit Miliko sortir, l’attendre, ses cheveux noirs flottant au vent, les bras croisés à cause du froid. Elle avait voulu l’accompagner au vaisseau, car le fait qu’il voie Porey seul, sans témoin, lui faisait peur. Il l’en avait dissuadée.
Elle vint à sa rencontre, descendant la colline, et il lui fit signe, indiquant que la situation était aussi bonne qu’on pouvait l’espérer.
Ils gouvernaient toujours Downbelow.